Il est important de rappeler que cet essai rédigé par l'un des animateurs des Automatistes, Paul-Émile Borduas, et signé, entre autres, par les peintres Jean-Paul Riopelle et Marcelle Ferron, l'actrice Muriel Guilbeault, le poète Claude Gauvreau, fut à son époque un gros pavé dans la mare du duplessisme. La répression qui s'ensuivit mena Borduas à sa déchéance, il mourut à Paris dans le plus complet dénuement en 1960. Cet essai pourfendait les valeurs religieuses et conservatrices qui contrôlaient illégitimement un peuple prêt à s'engager dans la voie du progrès se dessinant dans l'Après-Guerre. En voici des extraits :
« Un petit peuple serré de près aux soutanes restées les seules dépositaires de la foi, du savoir, de la vérité et de la richesse nationale. Tenu à l'écart de l'évolution universelle de la pensée pleine de risques et de dangers, éduqué sans mauvaise volonté ; mais sans contrôle, dans le faux jugement des grands faits de l'histoire quand l'ignorance complète est impraticable.
Petit peuple issu d'une colonie janséniste, isolé, vaincu, sans défense contre l'invasion de toutes les congrégations de France et de Navarre, en mal de perpétuer en ces lieux bénis de la peur (c'est le commencement de la sagesse !) le prestige et les bénéfices du catholicisme malmené en Europe. Héritières de l'autorité papale, mécanique, sans réplique grands maîtres des méthodes obscurantistes, nos maisons d'enseignement ont dès lors les moyens d'organiser en monopole le règne de la mémoire exploiteuse, de la raison immobile, de l'intention néfaste. »
[...]
« Depuis des siècles les splendides révolutions aux seins regorgeant de sève sont écrasées à mort après un court moment d'espoir délirant, dans le glissement à peine interrompu de l'irrémédiable descente :
la révolution française
la révolution russe
la révolution espagnole
avortée dans une mêlée internationale, malgré les vœux impuissants de tant d'âmes simples du monde. »
[...]
« Les progrès matériels, réservés aux classes possédantes, méthodiquement freinés, ont permis l'évolution politique avec l'aide des pouvoirs religieux (sans eux ensuite) mais sans renouveler le fondement de notre sensibilité, de notre subconscient, sans permettre la pleine évolution émotive de la foule qui seule aurait pu nous sortir de la profonde ornière chrétienne. »
« Rompre définitivement avec toutes les habitudes de la société, se désolidariser de son esprit utilitaire. Refus d’être sciemment au-dessous de nos possibilités psychiques et physiques. Refus de fermer les yeux sur les vices, les duperies perpétrées sous le couvert du savoir, du service rendu, de la reconnaissance due. »
[...]
« Les forces organisées de la société nous reprochent notre ardeur à l'ouvrage, le débordement de nos inquiétudes, nos excès comme une insulte à leur mollesse, à leur quiétude, à leur bon goût pour ce qui est de la vie (généreuse, pleine d'espoir et d'amour par habitude perdue).
Les amis du régime nous soupçonnent de favoriser la "Révolution". Les amis de la "Révolution" de n'être que des révoltés : "...nous protestons contre ce qui est, mais dans l'unique désir de le transformer, non de la changer. »
[...]
« Au terme imaginable, nous entrevoyons l'homme libéré de ses chaînes inutiles, réaliser dans l'ordre imprévu, nécessaire de la spontanéité, dans l'anarchie resplendissante, la plénitude de ses dons individuels.
D'ici là, sans repos ni halte, en communauté de sentiment avec des assoiffés d'un mieux-être, sans crainte des longues échéances, dans l'encouragement ou la persécution, nous poursuivrons dans la joie notre sauvage besoin de libération. »
-Fin-
On remarque sans difficulté que le fond de ce virulent essai ne cadre en aucune manière avec le modèle économique du profit, de la spéculation ou du commerce. N'est-il pas étrange de voir des gens qui n'espèrent que voir la valeur de leur achat augmenter s'intéresser à un ouvrage si révolutionnaire? À moins qu'il ne s'agisse réellement de gens voulant obtenir cette oeuvre pour son contenu. J'en doute, si je me fie à mes sources. L'ouvrage est facilement accessible en version intégrale sur le Net et connaît encore une large diffusion. Toutes ces oeuvres produites par des artistes vivant en marge, Van Gogh, Riopelle et d'autres, n'est-ce pas là la récupération suprême que de sombrer dans ce réseau mercantiliste qu'est le Marché des Arts?
Qu'en pensez-vous?
Sources :
Michel BELLEMARE, « Un exemplaire du Refus global sera vendu aux enchères », Cyberpresse.ca, [en ligne], http://www.cyberpresse.ca/article/20080723/CPARTS/807231626/1017/CPARTS, [page visitée le 23 juillet 2008].
[ANONYME], « Refus global : un texte cinglant. », Les Archives de Radio-Canada, Société Radio-Canada, Dernière mise à jour : 7 mai 2008, http://archives.radio-canada.ca/arts_culture/arts_visuels/dossiers/82-837/ [Page consultée le 24 juillet 2008].
Paul-Émile Borduas, Refus global, in La page @ Claude, [en ligne] , http://pages.videotron.com/prince9/souvenir.html, [page consultée le 24 juillet2008].
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