mardi 22 juillet 2008

Je suis fasciné par le troublant paradoxe du blog: il prend l'allure assez exacte du journal intime où l'on peut écrire ses pensées, ses sentiments, son vécu personnel, etc. et pourtant il se fixe sur une toile où naviguent des centaines de millions d'internautes. À partir de là, la fonction éditoriale d'un tel outil m'apparaît évidente. Comme l'écrivain produisant ses textes pour les faire publier dans le réseau éditorial du livre, le blogueur ne peut immanquablement que se poser la question : « Que vais-je écrire sur mon blog? » en pensant qu'il peut être lu, sans pouvoir imaginer clairement qui le lira (à moins de former un réseau de blogueurs, et encore là...)

Il y a aussi une question de pudeur. Je n'ai pas visité beaucoup de blogs, mais j'imagine que l'intensité du dévoilement varie selon les rédactrices et rédacteurs. J'imagine que certaines personnes vont jusqu'à pratiquer une forme d'exhibitionnisme, un peu comme la téléréalité, faisant du blog une forme de reconnaissance sociale. Mais ceci n'est qu'une réalité partielle, il me semble que les usages possibles du blog sont pas très loin de l'infini.

Dans mon cas, je ne me vois pas présenter les détails de ma vie personnelle. Ma pudeur m'en empêche. Je me dis que je pourrais y mettre des textes de création personnels, mais j'ai peur de me faire voler des idées, si toutefois je pouvais en avoir de bonnes. Je pense qu'au bout du compte ce blog sera un observatoire social, dans le micro et le macro, qui me permettra de produire régulièrement des réflexions sur ce que je perçois du monde et de la vie. Bof, que c'est prétentieux.

Je vous laisse en terminant sur ce poème saisissant de Baudelaire qui, malgré des différences de référents culturels, comportent de nombreux passages actuels. Ce texte est libre de droit.

Au Lecteur

La sottise, l'erreur, le péche, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.

Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.

Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.

C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent.
Aux objets répugnants nous trouvons des appas;
Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.

Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé d'une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.

Serré, fourmillant comme un million d'helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de démons,
Et quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.

Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,
N'ont pas encore brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C'est que notre âme, hélas! n'est pas assez hardie.

Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,

Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde!
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes, ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde.

C'est l'Ennui!- L'oeil chargé d'un pleur involontaire,
Il rêve d'échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère!

Charles Baudelaire

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